Objectifs

Issu de la convergence de deux programmes de recherche indépendants, Collégiales et Monastères, Col&Mon a pour but de constituer un corpus numérique original qui réunisse dans un même outil des établissements que l’historiographie a toujours envisagés séparément afin de croiser l’étude de deux problématiques complémentaires, canoniales et monastiques. Cette approche mise sur la pertinence et la pédagogie des outils de représentation et d’analyse spatiale pour comprendre les ressorts de l’implantation du réseau de ces établissements et son évolution dans l’espace français médiéval. Col&Mon vise aussi à combler un vide en matière de géographie ecclésiastique pour satisfaire les attentes des spécialistes d’histoire religieuse comme celles d’un public plus large d’érudits et d’associations patrimoniales soucieuses de mieux connaître et de valoriser les sites anciens.

1. Renouveler le champ des études canoniales et monastiques

Le fait de réunir dans un même projet collégiales et monastères qui ont partagé pendant des siècles des caractéristiques communes (fondateurs identiques, laïcs et ecclésiastiques ; place centrale de la liturgie ; application et adaptation de règles de vie religieuse ; organisation spatiale de bâtiments communautaires ; fonctions scolaire et charitable, etc.) nécessite aussi de revisiter une longue tradition scientifique, tant sur le plan des outils que des problématiques. L’historiographie portant sur ces échelons essentiels de la géographie ecclésiastique s’est renouvelée depuis une trentaine d’années. L’intérêt pour les approches religieuses sous l’angle de lhistoire sociale ou culturelle a dynamisé les recherches et renouvelé en profondeur les données. Les nombreux travaux sur les élites, sur l’imbrication des réseaux aristocratiques laïques et ecclésiastiques au sein des sphères du pouvoir ont permis d’appréhender les mondes monastiques et canoniaux comme des éléments majeurs de structuration et d’évolution de la société médiévale. En deuxième lieu, les approches spatiale,monumentale et archéologique ont largement enrichi nos connaissances des établissements réguliers en ouvrant des domaines jusqu’alors méconnus (pratiques funéraires, économie monastique, topographie régulière…). L’heuristique est le dernier domaine historiographique à avoir bénéficié de réelles avancées. De nombreux projets ont ainsi permis la mise en ligne de bibliothèques virtuelles de manuscrits originaux et d’éditions de textes ou de chartes médiévales.

Col&Mon a pour volonté de réunir deux secteurs de la recherche historique qui se sont le plus souvent ignorés en empruntant des voies parallèles. Les institutions monastiques ou régulières en général et les établissements séculiers comme les collégiales sont traditionnellement considérés comme deux questions étrangères l’une à l’autre dans un schéma simplificateur de la réalité ecclésiale, clergé séculier d’un côté, clergé régulier de l’autre. Les résultats préliminaires de la constitution des deux bases montrent au contraire que l’un ne va justement pas sans l’autre pour leur compréhension mutuelle. L’historiographie a pu aussi absorber toutes les collégiales dans la sphère régulière par confusion des genres de vie religieuse. Ces questions risquaient de demeurer à jamais irrésolues ou faussement résolues si les historiens continuaient, soit à les envisager séparément, soit à les confondre de manière erronée. Ceci explique que ces établissements séculiers aient longtemps pâti de l’absence de corpus spécifique avant la réalisation de la base Collégiales.

Les deux formes de vie religieuse qu’abritent collégiales et monastères sont enfin distinctes mais non hermétiques. La présence de chanoines aussi bien dans la sphère séculière que dans le monde régulier constitue d’emblée un évident révélateur de leur proximité mais également de leur concurrence. Le but ici recherché est donc non seulement de fédérer les recherches passées et en cours sur ces établissements médiévaux mais aussi de bâtir en synergie des outils de travail performants pour la recherche actuelle en histoire du religieux et de la géographie ecclésiastique. Les envisager de manière commune permet ainsi de mettre en lumière les liens qui les unissent et offre une vision plus globale des phénomènes historiques traditionnellement tronçonnés en thématiques autonomes. Plusieurs rencontres organisées par le projet ont permis de mettre en lumière cette porosité des mondes canoniaux et monastiques.

Comme exemple de cette pertinence à réunir collégiales et monastères, prenons le cas des écoles capitulaires et monastiques intégrées comme objets contextuels dans les bases sources.

 

2. Des enjeux interdisciplinaires

Pour élaborer ces nouveaux outils d’analyse historique, il a fallu s’ouvrir à l’interdisciplinarité qui est à la fois source de richesse car chaque spécialité apporte sa pierre à l’édifice mais aussi de difficultés. Nous avons fait converger quatre disciplines : l’histoire médiévale, l’informatique liée aux bases de données relationnelles, la géographie/géomatique et les statistiques/modélisation de données. Les historiens créent les données par interprétation des sources primaires et posent les requêtes à réaliser ; les géographes apportent des clés de lecture spatiale aux phénomènes historiques dont les géomaticiens révèlent le sens par la cartographie ; les spécialistes des données les formalisent pour qu’elles soient utilisables par tous et les statisticiens aident à comprendre dans quelle mesure les informations sont signifiantes.

Comme dans tous les projets interdisciplinaires, la phase d’adaptation fut très chronophage : adaptation aux individualités mais surtout adaptation aux disciplines. Il s’est d’abord agi de se comprendre et, pour cela, de parler la même langue. Définir les mots, définir les concepts et s’entendre sur un vocabulaire commun participe de cette étape qui généra la réalisation d’un glossaire. Comprendre des objectifs et des méthodes disciplinaires qui nous sont pour la plupart peu familières, voire étrangères. Il ne faut pas négliger non plus la part des représentations et des idées reçues que l’on peut avoir sur la discipline de l’autre, notamment l’histoire sur la géographie et vice versa, qui sont pourtant dans le système français des disciplines connexes. Ces représentations véhiculent une part d’idéalisation qu’il a convenu peu à peu d’ajuster, de remodeler pour tendre davantage à la réalité.

Du côté des géomaticiens et des statisticiens, le terrain de la réflexion conceptuelle autour de l’ontologie informatique sur lequel nous nous sommes placés au départ pour la fusion des deux bases initiales était un terrain familier sur lequel il y avait un certain confort à s’attarder. Quitter ce terrain-là pour entrer dans des données inhabituelles prit du temps. Du côté des historiens, la prise de conscience que nos données sur les collégiales et les monastères n’étaient pas des types de données habituellement traitées par les géomaticiens a été longue. Il a notamment fallu prendre conscience de la véritable spécificité de la donnée historique sur laquelle nous travaillons qui 1- est incomplète 2- parfois incertaine et qui, 3- sur le plan quantitatif, offre des échantillons limités. Autrement dit des types de données sur lesquelles, statisticiens, géographes mais aussi informaticiens n’avaient pas forcément l’habitude de travailler. D’habitude les séries à analyser, représenter sont complètes ; ici ce n’est pas le cas. Il a donc fallu réaliser puis surmonter la spécificité de nos données historiques.

L’enjeu fut d’identifier les degrés d’interdisciplinarités de Col&Mon pour dépasser nos habitudes et nos réflexes disciplinaires.